Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 8)

Temps de lecture : 10 minutes.

Suite de l’analyse du rapport de France stratégie avec un chapitre long et dense qui s’interroge sur le parcours de carrière des agents publics. Il s’agira ici de revenir sur le principe statutaire et sa consécration dans le recrutement par concours.

Dans deux prochains billets, nous nous attarderons plus longuement sur les contractuels eux-mêmes et sur les parcours professionnels des agents publics.

Qu’est-ce que le « statut de la fonction publique » ?

Un principe inscrit dans la loi

Le droit à la carrière

Les rapporteurs rappellent tout d’abord le principe statutaire de garantie de l’emploi et de la carrière1 :

La garantie de l’emploi2 protège le fonctionnaire contre l’arbitraire en empêchant les mutations pour des raisons autres que l’intérêt du service et en limitant les licenciements à des circonstances particulièrement graves : faute grave, insuffisance professionnelle…

La garantie de la carrière pose le principe que les fonctionnaires sont recrutés dans un corps de la fonction publique et qu’ils disposent, au sein de ce corps, d’une forme de « carrière automatique ou minimale » — indépendamment des missions exercées3. L’évolution des rémunérations évolue pour partie à l’ancienneté (progression dans une grille indiciaire par échelon), et, éventuellement, par le passage d’un grade supérieur (notamment par examens professionnels).

Cette garantie de l’emploi et de la carrière vise à protéger les agents publics des ingérences, au nom des principes de neutralité et d’égalité des citoyens devant le service public.

La séparation du grade et de l’emploi

L’autre principe pivot du statut est celui de la séparation du grade et de l’emploi :

Le fonctionnaire est titulaire de son grade et non de son emploi. Autrement dit, le fonctionnaire dispose du droit d’occuper des fonctions compatibles avec son grade4. En revanche, l’administration dispose des emplois qu’elle peut modifier à tout moment.

La situation d’un fonctionnaire est qualifiée de statutaire et règlementaire :

Inversement, le salarié de droit privé et le contractuel de droit public5 sont recrutés sur un emploi considéré, pour une tâche et des fonctions précises. Tout changement substantiel du contrat du salarié ou du contractuel de droit public nécessite donc un avenant ou un nouveau contrat.

En contrepartie : un recrutement par concours et des obligations

Les fonctionnaires sont le plus souvent6 recrutés par concours avec un niveau de sélectivité relativement élevé.

Il s’ensuit une période de stage, généralement longue (le plus souvent un an). Durant cette période, l’employeur public peut se séparer à tout moment du stagiaire.

Enfin, le statut de fonctionnaire implique plusieurs obligations :

Le foisonnement de statuts : l’émiettement de la fonction publique

Le modèle français de fonction publique figure encore comme l’exemple topique d’une fonction publique de carrière. Toutefois, l’emploi public est de plus en plus protéiforme.

En effet, à l’analyse, le premier constat est celui d’une profusion de cadres d’emploi pour les agents publics :

Un constat : « l’emploi à vie » n’est plus attractif pour les jeunes générations

 La promesse d’un « emploi à vie » n’est pas attrayante

La promesse d’un emploi garanti a perdu de son importance pour une multitude de raisons :

La stabilité de l’emploi demeure un élément distinctif et un argument pour les salariés les plus fragiles

Cependant, pour les salariés du privé, la stabilité de l’emploi public reste un élément fort et différenciant :

84 % des salariés du privé citent la sécurité de l’emploi comme un attrait des carrières de fonctionnaire11.

La sécurité de l’emploi demeure recherchée par les salariés les plus vulnérables sur le marché du travail : seniors, salariés peu qualifiés ou jeunes issus de milieux populaires.

Les fluctuations du chômage ne jouent plus sur l’attractivité de la fonction publique : celle-ci ne constitue plus un « refuge »

 La hausse du niveau de chômage de 2008 à 2017 n’enraye pas la chute du taux de sélectivité des concours qui continue à décroître. Malgré la hausse du chômage et en présence d’une augmentation du nombre de postes offerts dans les fonctions publiques, le nombre de candidats n’augmente pas.

En dehors de la sécurité de l’emploi, les « avantages » offerts par les employeurs publics semblent peu élevés pour les actifs

Une protection sociale globalement moins favorable, en particulier s’agissant de la protection sociale complémentaire12

 « Lorsque l’on compare les dispositifs en vigueur (…) les différences avec le secteur privé (en matière de santé, de retraite, ou d’autres avantages sociaux indirects, CESU, garde d’enfants, etc.) ne sont globalement pas à l’avantage de la fonction publique. Ces avantages, souvent mis en avant comme des compensations à des rémunérations réputées moins attractives, ne constituent plus une réelle différenciation. »

À cet égard, les rapporteurs notent une culture différente s’agissant, par exemple, de la protection sociale complémentaire. Celle-ci est quasiment inexistante dans les discussions et représentations des agents publics. À l’inverse, pour les salariés du privé, il s’agit d’un élément d’appréciation important de la qualité de l’emploi.

 « La culture de la protection sociale complémentaire n’a pas (encore) imprégné le secteur public. »

Plus largement :

S’agissant de l’action sociale (garde d’enfant, loisirs-vacances, restauration, accompagnement social) : « au regard des effectifs globaux, le nombre de personnes concernées et les montants financiers qui y sont consacrés restent anecdotiques. »

Des droits à retraite similaires entre les agents publics et les salariés de droit privé

Deux différences importantes subsistent s’agissant des retraites :

Toutefois, ces différences de règles de calcul ne conduisent pas à des montants de retraite en moyenne plus avantageux pour les fonctionnaires14. Par ailleurs, les âges de départ en retraite sont aussi similaires entre la fonction publique et le secteur privé (article sur le vieillissement de la fonction publique).

Un recrutement par concours très contesté

Le constat général dressé par les rapporteurs est celui d’une relative inadaptation des concours. Ils seraient :

Les modalités de recrutement se sont diversifiées, mais le concours demeure la voie d’accès principale à la fonction publique

Au-delà du concours classique, « externe » et dédié aux jeunes diplômés, les modes de recrutement se sont pourtant diversifiés :

Par ailleurs, depuis 2018, le dispositif Prépas talents permet, sous conditions de ressources, à des étudiants, jeunes diplômés et demandeurs d’emploi d’accéder à une aide à la préparation aux concours de la fonction publique (aide à la fois financière, au logement, mais aussi accès à des dispositifs du tutorat renforcé)16.

Pour autant, le concours demeure la voie d’accès normale à l’ensemble des grands métiers publics : enseignants, forces de sécurité, infirmiers, personnels d’inspection et d’administration…

Des concours qui ne garantissent pas contre les discriminations

Les rapporteurs citent les travaux du rapport du professeur Yannick L’Horty de 201617 pour conclure au caractère pour partie discriminant du mode de recrutement par concours :

« Les femmes, les personnes nées hors de France métropolitaine, ou encore celles qui résidant dans une ville avec une forte emprise de ZUS, [ont] moins de chances de réussir les écrits puis les oraux de nombreux concours, tandis qu’à l’inverse les chances de succès sont plus élevées toutes choses égales par ailleurs pour les personnes qui habitent Paris et celles qui vivent en couple. »

Des concours qui accentuent les disparités territoriales

L’autre difficulté inhérente au concours est l’affectation sur le premier poste. Or, les postes disponibles pour les primo-affectés sont en majorité difficiles et le plus souvent dans les territoires les moins attractifs :

Ce phénomène de turn-over élevé pour les territoires les moins attractifs et de départ des plus anciens vers les territoires les plus favorisés s’auto-entretient.

Les jeunes ne restent pas sur leur poste et préfèrent partir assez vite :

Pour pallier les difficultés de recrutements dans les territoires les plus difficiles, l’administration recrute localement des contractuels

Le recrutement de contractuels se développe, tout particulièrement dans les territoires les moins attractifs19.

En retour, ce recrutement de contractuels accentue la désaffection des concours :

Les fonctionnaires en première affectation doivent le plus souvent déménager pour rejoindre un lieu d’affectation inconnu à la réussite du concours.

Les contractuels disposent du choix de leur lieu d’exercice et sont dispensés de la sélection par concours.

Outre le recrutement de contractuels, les rapporteurs citent la possibilité ouverte par la loi de transformation de la fonction publique de 2019 de recruter des fonctionnaires par la voie de concours nationaux à affectation locale. Toutefois, ce dispositif est encore peu développé et n’a concerné, à la date de rédaction du rapport, qu’une cinquantaine de corps et près de 10 000 agents20.

Une gestion des fonctionnaires également problématique sur le long terme

Le cas de l’Éducation nationale est particulièrement symptomatique pour les rapporteurs :

 « La crainte est double : elle concerne l’affectation sur le premier poste, mais elle porte également sur la possibilité d’obtenir ultérieurement une mutation en vue de rejoindre l’académie ou l’établissement de son choix. Or, les étudiants ou futurs enseignants jugent le système ou l’algorithme utilisé pour les campagnes de postes particulièrement opaque, source d’inégalités de traitement et d’incohérences manifestes. Cette perception d’une procédure sans règles claires entretient un sentiment d’arbitraire et d’inefficacité dans la gestion des ressources humaines, appuyé par de nombreux exemples jugés aberrants de personnels dont l’affectation semble contraire à toute logique. »

  1. Principes attachés au modèle de la fonction publique dite « de carrière » qui implique l’existence de corps de la fonction publique. À l’inverse, la fonction publique dite « de l’emploi » repose sur un recrutement de gré à gré en fonction des besoins de l’employeur, sans droit à carrière spécifique.
  2. Ce que des journalistes et commentateurs désignent, paresseusement, par « emploi à vie ». Il conviendrait plutôt, en effet, de parler de « droit à carrière », puisque le fonctionnaire a justement vocation à occuper une succession d’emplois.
  3. On distingue ici la rémunération indiciaire, assise sur les fameuses grilles indiciaires des différents corps de fonctionnaires (professeur des écoles, gradés et gardiens de la paix, attaché d’administration, inspecteur des finances publiques…) et la rémunération en primes liées aux fonctions et sujétions. La seconde part de la rémunération, de loin la plus dynamique, est assise sur la réalité des fonctions exercées. Toutefois, pour certaines professions, comme les magistrats ou le corps enseignants, la part indemnitaire demeure essentielle.
  4. Un inspecteur des finances publiques ne peut pas être affecté dans une fonction d’agent d’accueil.
  5. Dans un format qui ressemble aux principes de la fonction publique d’emploi, à l’inverse d’une fonction publique de carrière.
  6. Hors catégorie C de la fonction publique territoriale, notamment.
  7. Sauf en cas d’un ordre manifestement illégal et de nature à troubler l’ordre public.
  8. Les sociologues Castel et Bergeron interrogés par les rapporteurs rapprochent cette préférence pour le présent d’une anxiété quant à l’avenir : « on ne se projette pas dans un monde incertain ».
  9. A titre d’exemple, plus de 40 % des entreprises rencontraient des difficultés de recrutements selon la DARES dans son point sur la situation du marché du travail au 3e trimestre 2024.
  10. Voire le renverse, puisqu’en raisonnant du point de vue de l’individu, l’employabilité et la désirabilité des recruteurs quant aux compétences rares est mieux rémunérée dans les secteurs privés que dans le secteur public.
  11. Enquête Opinion-Way- Indeed (2023), « L’attractivité du secteur public chez les salariés français : entre réalité et désillusion », juin. Enquête réalisée sur un panel de 1 594 salariés représentatifs des salariés du secteur public (4 %) et du secteur privé (60 %).
  12. Il convient cependant de relever les travaux récents du ministère de la fonction publique en la matière afin de prévoir une protection sociale complémentaire pour les agents publics de l’État, puis à terme, des autres fonctions publiques.
  13. Ces « avantages » existent en Belgique, mais pourraient être remis en cause par le nouveau Gouvernement. Une réflexion pourrait s’ouvrir sur la responsabilité de l’administration dans le reclassement des agents publics concernés sur des fonctions moins exposées.
  14. Voir à ce sujet Drees (2022), « Retraite : règles de la fonction publique et du privé. Comparaison du calcul des droits à la retraite à l’aide du modèle Trajectoire », Les dossiers de la Drees, n° 103, novembre.
  15. Mais cette voie d’accès reste marginale, en 2021 elle a permis de recruter 200 personnes pour 300 postes offerts selon le Rapport annuel sur l’état de la fonction publique de 2023.
  16. En 2021, environ 700 étudiants étaient inscrits aux préparations des concours de catégorie A, 400 aux concours de catégorie A+ et 350 pour les concours de catégorie B. Depuis 2018, le taux de réussite progresse régulièrement (9 % en 2018-2019 et 23 % en 2021-2022).
  17. L’Horty Y. (2016), Les discriminations dans l’accès à l’emploi public, Rapport au Premier ministre, juin.
  18. Et plus encore pour les façades maritimes du sud et de l’ouest de la France. Ce qui, par ailleurs, peut poser des difficultés de mobilités pour les agents en poste, les opportunités étant plus rares.
  19. L’exemple le plus évident est la pratique du job dating par le rectorat de Versailles.
  20. Une autre difficulté tient aussi aux lieux de formation des lauréats des concours. À cet égard, l’initiative récente visant à développer auprès de l’Institut régional de Lille un lieu de formation à Nanterre pour les attachés d’administration est probablement salutaire.

Étudiant en examen

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *