Le rapport de France stratégie sur l’attractivité de la fonction publique (vol. 12)
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Avant-dernier billet consacré au rapport de France stratégie publié en décembre 2024 sur l’attractivité de la fonction publique (lien vers l’introduction du rapport de France stratégie), avec un focus sur la santé au travail.
Seront ici évoqués les conditions de travail, à travers :
- Le rapport au public ;
- L’intensité émotionnelle ;
- Le travail « sous pression » ;
- La perception du management ;
- L’autonomie au travail ;
- Les collectifs de travail ;
- Les moyens matériels et humains ;
- Les conflits éthiques.
Avant de plonger dans ces différents éléments, voici un extrait d’une enquête de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) sur les attentes des agents publics en matière de santé au travail (reproduite par France stratégie). La prépondérance des risques psycho-sociaux est flagrante :

Le rapport au public
85 % des agents publics sont en contact direct avec le public, contre 68 % des salariés du privé.
Par ailleurs, les relations sont plus souvent difficiles dans le secteur public que dans le secteur privé :
51 % des agents publics déclarent des tensions régulières avec le public, contre 40 % dans le privé.
Une situation tendue dans les métiers de la sécurité
Les métiers de la sécurité publique occupent une place à part.
58 % des agents de sécurité du privé1 connaissent des tensions au travail. C’est le cas de 78 % des policiers et gendarmes (91 % pour les policiers municipaux).
À titre général, dans l’analyse par métier : dès lors qu’une différence existe entre le secteur privé et public dans le niveau de tension, il est en défaveur du secteur public. C’est notamment le cas dans le versant hospitalier avec un niveau de tension nettement plus élevé pour le secteur public.
Des niveaux de tension également très élevés dans l’éducation
Les enseignants présentent un niveau important de tension :
- 58 % des enseignants en général ;
- 64 % pour les professeurs des écoles et
- 88 % pour les directeurs d’établissements.
Les rapporteurs soulignent une situation relativement paradoxale : une inquiétude diffuse et un sentiment de dégradation des relations. Cependant, la satisfaction est plutôt élevée dans les dimensions de sécurité au travail et de relations avec les élèves.
La direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale relève ainsi que :
« Les personnels de l’éducation nationale aiment, de manière générale, exercer dans leur école ou établissement : la satisfaction s’élève en moyenne à 7,0 sur 10. Le sentiment de sécurité dans et aux abords de l’établissement est estimé à 7,9 sur 10. »
Le sentiment d’être respecté par les élèves est évalué à un niveau également élevé (7,3 sur 10).
Les relations sont plus compliquées avec les parents2, mais plus encore avec la hiérarchie. L’évaluation du soutien de la hiérarchie en cas de problème n’est ainsi que de 5,7 sur 10.
Les rapporteurs relèvent un lien étroit entre les difficultés dans le rapport au public et le sentiment d’un faible soutien hiérarchique.
L’intensité émotionnelle
L’intensité émotionnelle se définit ici comme la proportion de salariés qui : « sont bouleversés, secoués, émus dans le travail » et renvoie autant à la qualité de la relation au public qu’à des enjeux d’organisation du travail ou de nature de l’activité.
Les agents publics se déclarent deux fois plus souvent être concernés par un choc émotionnel (19 %) que les salariés du privé (9 %).
De nouveau, la situation des enseignants est singulière :
- 21 % des enseignants sont concernés par de fortes émotions contre 12 % de l’ensemble des salariés,
- 13 % pour les cadres du secteur public (catégorie A) et
- 6 % des cadres du secteur privé.
Toutefois, dans les métiers du soin, si les agents publics demeurent plus concernés que les salariés du privé3, les indépendants occupent une place préoccupante :
55 % des infirmiers libéraux et 42 % des médecins libéraux se déclarent ainsi régulièrement émus ou bouleversés par leur quotidien. Cette spécificité tient très probablement aux visites domiciliaires des malades et aux relations interpersonnelles plus étroites qu’elles impliquent.
Le travail « sous pression »
En apparence, le secteur public ne se distingue pas du secteur privé s’agissant du stress au travail :
34 % des salariés du public déclarent travailler sous pression pour 35 % des salariés du privé.
Les cadres de catégorie A (46 %) et les enseignants (40 % dans le primaire et 41 % dans le secondaire) se situent toutefois dans la fourchette haute des métiers de cadres dans le privé. Plus inquiétant : 72 % des directeurs d’établissements scolaires déclarent travailler sous pression.
Le niveau de pression ressenti par les agents de catégorie B et C est comparable à leurs homologues du privé (agents administratifs, ouvriers, professions techniques).
S’agissant du secteur hospitalier, l’écart se creuse entre le secteur public et les établissements privés : la part de salariés déclarant travailler sous pression augmente de 49 % à 51 % de 2013 à 20194, alors qu’il baisse de 44 % à 37 % dans le privé.
En 2019, 68 % des infirmiers du public déclarent travailler sous pression, contre 48 % seulement dans le privé et 49 % parmi les indépendants.
Pour les rapporteurs, compte tenu de la proximité des métiers, les spécificités organisationnelles du secteur public constituent une piste d’explication. On pourrait aussi y ajouter les contraintes inhérentes au service public : continuité, égalité d’accès, quasi-gratuité.
Le management
La « qualité du management »
« Parmi les représentations négatives dont souffre la fonction publique au sein de la population française, persiste l’idée que le management y serait particulièrement peu efficace. Dans un sondage portant sur les critères d’attractivité comparée des grandes entreprises privées, du secteur non lucratif (associations, ONG, fondations) et de l’État, un panel de Français donne à ce dernier la moins bonne note pour l’item relatif « au style de management » (5,6/10 contre 6,3 pour les deux autres). C’est même la dimension la moins bien notée, sur les 23 dimensions citées. »
Le secteur public est relativement bien perçu s’agissant de la stabilité du poste et de l’équilibre vie privée / vie professionnelle. Mais, pour les 21 autres critères, il est en deçà des secteurs privés, lucratifs et non lucratifs.
« Plus inquiétant, quand on interroge uniquement des agents de la fonction publique, le management dans l’État est perçu encore plus négativement (5,2). »
Le « style de management » est le dernier argument cité par les sondés pour rejoindre la fonction publique. Inversement, c’est aussi le critère négatif le plus cité, devant la rémunération.

Le manque de soutien de la hiérarchie
Les niveaux de tension avec les supérieurs sont similaires entre secteurs privés et publics.
Toutefois, le sentiment d’être soutenu par la hiérarchie est nettement plus faible dans le secteur public.
46 % des enseignants qui disent être aidés par leur hiérarchie, 42 % pour les directeurs d’établissement scolaire. Ce sont des niveaux particulièrement bas par rapport à la moyenne des salariés et plus encore des salariés qualifiés.
L’autonomie au travail
81 % des salariés du public déclarent être autonomes dans leur travail, contre 74 % dans le privé.
Cette différence est encore plus marquée pour les métiers les moins qualifiés du public (cuisiniers, ouvriers, jardiniers).
S’agissant des cadres de catégorie A de l’administration, leur niveau d’autonomie est comparable aux cadres du privé. Néanmoins, ce niveau d’autonomie est ressenti comme en forte dégradation (5 points perdus de 2013 à 2019).
Les enseignants déclarent également une perte d’autonomie sur la même période, tout en affichant des niveaux élevés par rapport aux métiers de cadres.
Le travail collectif
Dans l’enquête Conditions de travail, les salariés du public déclarent être très souvent aidés par leurs collègues (87 %). Un niveau un peu plus élevé que dans le privé (79 %).
Ces chiffres sont en augmentation de 2013 à 2019.
En dépit de cette augmentation, les auteurs citent les travaux de Bergeron et Castel qui entrevoient un risque de fragilisation des coopérations par :
- Les difficultés contemporaines à se projeter dans l’avenir ;
- La rationalisation des coûts (dans les secteurs publics et privés), qui aboutit à un contrôle plus poussé des travailleurs5 ;
- L’injonction à la « coordination » qui se traduit par davantage de procédures, des fusions d’organismes pour favoriser des économies d’échelle sans une réflexion préalable sur les « déterminants de ce manque de coordination ».
Les moyens matériels et humains
Parmi les agents publics, le constat d’une dégradation des conditions de travail semble relativement partagé. Il s’appuie sur différents paramètres :
- La faiblesse (ou l’absence) de moyens matériels et humains ;
- L’inadaptation de l’offre de formation (jugée trop théorique, avec trop de distanciel…) ;
- La complexification des tâches à réaliser, en particulier les tâches administratives.
L’insuffisance de moyens matériels humains
- 43 % des agents publics de sécurité (armée, police, pompiers) déclarent disposer de moyens suffisants pour exercer leurs missions6 ;
- C’est le cas de 56 % des cadres administratifs de catégorie A. Soit un niveau très en deçà des cadres du secteur privé.
De 2013 à 2019, tous secteurs confondus, ces deux familles de métiers (sécurité et cadres administratifs) présentent la plus grande dégradation de cet indicateur7.
S’agissant des métiers du soin, la faiblesse du secteur public est également très marquée :
- 47 % des aides-soignants du public déclarent bénéficier de moyens suffisants contre 58 % de ceux du privé,
- 49 % des infirmiers publics contre 67 % pour le privé et
- 54 % des médecins contre 71 % pour le privé.
« Ce manque de moyens est noté par les agents en poste, mais aussi par les viviers. Ce qu’il démontre qu’il pèse sur l’attractivité du secteur public. »
Une forme de défiance des agents publics envers leur employeur
« Ce manque de moyens est particulièrement mal ressenti par les agents. Il s’ajoute aux faibles rémunérations et au discours dévalorisants, entrainant une forme de défiance à l’égard de l’employeur. »
« Les groupes et les entretiens ont mis en évidence un climat de méfiance généralisé envers l’État et plus largement les institutions chez les agents eux-mêmes8. »
- En 2019, 62 % des agents publics avaient le sentiment d’être respecté et reconnu dans leur travail, contre 70 % des salariés de droit privé.
- En 2013, les pourcentages étaient respectivement de 67 % et 70 %. Cette dégradation est donc spécifique à la fonction publique.
Ce déficit de reconnaissance est particulièrement marqué dans l’Éducation nationale :
- 48 % des enseignants pensent recevoir le respect qui leur est dû, contre 59 % en 2013,
- 34 % pour les professeurs des écoles (43 % en 2013) ;
- 54 % pour les directeurs d’établissement et inspecteurs (contre 74 % en 2013, soit une chute de 20 points de pourcentage).
Les conflits éthiques
Le conflit éthique est ici défini comme le fait de : « devoir faire quelque chose que l’on réprouve ».
Moins d’un salarié du secteur privé sur dix se dit concerné par de tels conflits :
- 12 % pour les professeurs du secondaire ;
- 18 % pour les métiers publics de la sécurité9 et jusqu’à 65 % pour les cadres intermédiaires de la police nationale ;
« Si cela peut être interprété comme le fait que la fonction publique regroupe des métiers plus susceptibles d’être exposés à des conflits de valeur, cela accrédite également le fait qu’il existe un risque de décalage entre le « sentiment d’utilité sociale », qui peut motiver le choix d’entrer dans la fonction publique, et les réalités du travail ; la perception de promesses déçues pour des salariés qui ont plus d’attentes que dans le secteur privé. »
Plusieurs facteurs explicatifs sont évoqués et reprennent pour partie les hypothèses envisagées sur une dégradation possible des collectifs de travail :
- La pression des chiffres ;
- La dématérialisation des services ;
- La complexification des tâches :
- Une dégradation des relations avec les usagers.
Les arrêtés maladie, un signal faible ?
En conclusion, pour les rapporteurs, l’augmentation récente des arrêts maladie dans la fonction publique constitue un point d’alerte. Cette évolution est particulièrement inquiétante pour les versants territoriaux et hospitaliers de la fonction publique10, mais également pour les enseignants, auparavant très peu concernés.


- France stratégie réalise des comparaisons sur des métiers « mixtes » à partir de catégories de fonction. Il demeure, à l’évidence, des spécificités irréductibles à toutes comparaisons s’agissant de certains métiers publics. Les policiers et militaires n’ont pas d’équivalents dans le secteur privé. Il est toutefois proposé une comparaison fonctionnelle. ↩
- Le sentiment d’être respectés par les parents d’élèves est de 6,3 sur 10. ↩
- Parmi les agents publics, 42 % des infirmiers et 32 % des émotions disent avoir vécu des épisodes d’intensité émotionnelle contre respectivement 33 % et 27 % de leurs homologues du privé. ↩
- Les rapporteurs s’arrêtent en situation pré-COVID pour ne pas fausser les comparaisons. ↩
- Ce qui implique également une charge administrative et de reporting, qui peut être jugée très négativement par les salariés concernés. ↩
- Ce ratio est de 77 % pour les agents de sécurité privée. ↩
- Les agents publics de catégorie B et C présentent également un indicateur relativement dégradé s’agissant des moyens à leur disposition pour exercer leurs fonctions. Toutefois, la dégradation de cet indicateur sur la période 2013 à 2019 est similaire à celles de leurs homologues salariés de droit privé. ↩
- Ce qui rejoint aussi les constats de Luc Rouban sur l’augmentation du vote pour le Rassemblement national parmi les agents publics. ↩
- Le taux est de 19 % pour les agents de sécurité privé. Les ratios sont donc ici élevés, mais homogènes. ↩
- En rappelant toutefois qu’il y a aussi des effets de composition. ↩
