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Cet article est en partie construit sur une lecture du Guide de légistique (le guide du « Légiste »1) dans sa version de 2017, disponible sur le site de Légifrance.
Pour rappel, le « domaine de la loi » est borné par l’article 34 de la Constitution qui fixe strictement l’ensemble des règles devant être édictées par la loi. Autrement dit, le Législateur (Assemblée nationale et Sénat) ne peut édicter des règles en dehors de ce champ.
Inversement, le champ du pouvoir règlementaire est défini de manière négative par l’article 37 de la Constitution : « Les matières autre que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère règlementaire. »
Définition du décret
Le décret est un acte règlementaire (qui édicte une règle générale2) ou a une portée individuelle (le plus souvent, un décret de nomination).
Un décret peut être signé par le Président de la République3 ou par le Premier ministre4 et il peut être cosigné par un ou plusieurs ministres et secrétaires d’Etat.
Les différents types de décrets
On peut, comme on l’a vu plus haut, classer les décrets selon leur portée règlementaire ou individuelle, mais on peut aussi classer les décrets selon leur source juridique :
- Certains décrets sont dits « autonomes », ils peuvent alors être pris par le Premier ministre sans texte, notamment pour l’organisation des services administratifs sous leur responsabilité5 ;
- D’autres, les plus nombreux, sont des décrets d’application de dispositions juridiques supérieures, le plus souvent une loi ou une ordonnance.
Un décret comporte toujours :
- Le nom du ministre rapporteur du texte,
- Les visas : l’ensemble des textes en rapport avec l’objet du décret et
- Le dispositif proprement dit, composé d’articles, eux-mêmes subdivisés en alinéas.
C’est le dispositif qui comporte les règles applicables et qui emporte des conséquences juridiques.
Le classement des décrets par ordre hiérarchique
Le décret de droit commun est pris par le Premier ministre (et l’éventuel ministre concerné) sans formalité particulière.
Toutefois, certains décrets présentent des spécificités, soient qu’ils sont signés par le Président de la République, délibérés en Conseil des ministres ou pris après avis du Conseil d’Etat.
1. Les décrets pris par le Président de la République seul : ses pouvoirs propres
Les pouvoirs propres du Président de la République lui permettent de prendre des décrets de manière autonome, donc sans délibération en Conseil des ministres6 :
- Le décret de nomination du Premier ministre ;
- Le décret relatif à la composition du Gouvernement ;
- Le décret de dissolution de l’Assemblée nationale7.
Ces décrets sont évidemment emblématiques et symbolisent la conception constitutionnelle française tenant à positionner le chef d’Etat dans un rôle d’arbitre et de gardien des institutions : il tient dans sa main le Gouvernement et peut à tout moment dissoudre l’Assemblée nationale8.
2. Les décrets du Président de la République pris en Conseil des ministres
Les décrets pris après délibération du Conseil des ministres sont signés par le Président de la République et contresignés par le Premier ministre (et, le cas échéant, par les ministres responsables)9.
Ces décrets peuvent également être pris après consultation du Conseil d’Etat.
A l’évidence, ce sont les décrets les plus importants.
Spécificités :
Ces décrets sont délibérés en Conseil des ministres lorsqu’un texte le prévoit ou lorsque des considérations liées à la nature ou à l’importance du sujet traité le justifient.
Cela peut être une loi ordinaire10 ou organique11, un texte constitutionnel (pour des nominations importantes12, l’état de siège13).
Toutefois, s’agissant des attributions des ministres, c’est un simple décret qui prévoit l’obligation pour le Premier ministre de recueillir la signature du Président de la République14.
Une jurisprudence importante du Conseil d’Etat (Meyet, 10 septembre 1992) impose que tout décret délibéré en conseil des ministres ne peut plus être modifié ou abrogé que par un autre texte délibéré en conseil des ministres15, sauf à ce qu’une loi ou un autre décret en conseil des ministres en donne explicitement la compétence à une autre autorité que le président de la République.
Pour éviter cet « effet cliquet » (si tel est le souhait du Gouvernement), il est donc recommandé d’introduire une disposition finale dans le décret délibéré en conseil des ministres précisant que : « Le présent décret peut être modifié par décret (simple) / décret en Conseil d’Etat ».
3. Les décrets en Conseil d’Etat
Les décrets simples et décrets en Conseil d’Etat relèvent de la compétence de droit commun du Premier ministre en application de l’article 21 de la Constitution.
Les décrets en Conseil d’Etat nécessitent l’avis de la haute juridiction administrative en vertu d’une obligation constitutionnelle, législative ou réglementaire. Ils portent la mention « Le Conseil d’État entendu ».
Cette obligation procédurale est essentielle, puisqu’en cas de non-respect de cette consultation, le décret est considéré comme illégal. Cette irrégularité est soulevée d’office par le juge16.
Spécificités :
Les décrets en Conseil d’Etat sont pris en application d’une norme supérieure, qu’il s’agisse de la Constitution et notamment de son article 37 (s’agissant des textes législatifs antérieurs à la Constitution17), d’un texte législatif ou d’un texte règlementaire.
L’appréciation du besoin de consulter ou non le Conseil d’Etat en l’absence de texte supérieur
La nécessité de consulter le Conseil d’Etat s’apprécie au regard des matières traitées, soient qu’elles appellent par nature des garanties comme les libertés individuelles, le droit de propriété, le régime des obligations… ou alors par le fait que les textes en question définissent les grandes lignes d’une règlementation majeure et se caractérisent par la présence, notamment, de dispositions fixant des critères d’assujettissement à un régime d’autorisation, énonçant des conditions d’agrément ou organisations les modalités de contrôle de l’administration sur les activités de personnes privées.
Inversement, le recours au décret en Conseil d’Etat doit être écarté lorsque la valeur ajoutée du Conseil est jugée faible, notamment du fait de la matière particulièrement technique de la règlementation en cause.
Comme pour les décrets en conseil des ministres, seul un décret en Conseil d’Etat ou une loi peut déroger à ce parallélisme des formes. Ici encore, le Secrétariat général du gouvernement incite à prévoir (le cas échéant) dans le décret pris après consultation du Conseil d’Etat, une disposition spécifique pour restreindre l’avis du Conseil d’Etat aux articles les plus pertinents.
4. Les décrets simples
Enfin,les décrets simples pris par le Premier ministre et les éventuels ministres concernés constituent donc le mode ordinaire d’exercice du pouvoir réglementaire.
Il s’agit des décrets qui ne sont ni des décrets en Conseil d’Etat ni des décrets en conseil des ministres.
Ces décrets peuvent toutefois être soumis à l’examen du Conseil d’Etat lorsque le pouvoir règlementaire en ressent le besoin. Le décret comportera alors la mention « Après avis du Conseil d’Etat » (et non pas « Le Conseil d’Etat entendu »).
Même après avoir sollicité l’avis du Conseil d’Etat, un tel décret simple demeure modifiable par un autre décret simple, sans que le Conseil d’Etat ne soit de nouveau obligatoirement consulté.
L’ensemble de ces décrets sont publiés au Journal Officiel de la République française.
Codification des différentes catégories de décrets
Dans les codes récents, les articles sont marqués pour identifier le niveau de chaque décret :
Le R correspond au décret en Conseil d’Etat et le D au décret simple ou au décret en conseil des ministres pris sans avis du Conseil d’Etat.
Pour les décrets délibérés en conseil des ministres, un astérisque est joint au R, lorsque ledit décret a été pris après avis du Conseil d’Etat et au D lorsqu’il a été pris sans avis du Conseil d’Etat.
Les arrêtés
Enfin, au-delà des décrets, les ministres peuvent également signer des arrêtés.
Ces derniers peuvent être interministériels, lorsque les signatures de plusieurs ministres sont nécessaires, ou ministériels.
Ces arrêtés sont pris le plus souvent en application d’une norme supérieure habilitant les ministres concernés à préciser par des dispositions de rang inférieur la norme applicable (on parle de « délégation »ou « d’habilitation »). Sauf exception, la norme supérieure en question est un décret.
Toutefois, pour l’organisation du service, le ministre peut également prendre un arrêté de manière « autonome ».
- La légistique se définit comme la technique permettant d’aboutir à la meilleure rédaction des normes : en termes de fluidité, de lisibilité et de précision. ↩
- Le principe est le caractère non nominatif de la règle. Un décret règlementaire peut prévoir les conditions d’emploi d’une seule personne, tant qu’il demeure impersonnel. ↩
- Alinéas 1 et 2 de l’article 8 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Le Président de la République nomme le Premier ministre.
« Sur proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions. »
Alinéa 2 de l’article 13 : « Il nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat. » ↩
- Premier alinéa de l’article 21 de la Constitution : « (…) Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir règlementaire et nomme aux emplois civils et militaires. » ↩
- Confer la décision « Jamart » du Conseil d’Etat du 7 février 1936. ↩
- L’article 8 précité de la Constitution. ↩
- Pour un exemple récent, le décret du 9 juin 2024, sur le fondement de l’article 12 de la Constitution. ↩
- Toutefois, conformément au quatrième alinéa de l’article 12 de notre Constitution : « Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections. » ↩
- Article 13 de la Constitution : « Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres. » ↩
- Ce qui ne revient normalement pas au pouvoir législatif, au nom du principe de séparation des pouvoirs. Toutefois, l’article L. 231-5 du code des relations entre le public et l’administration prévoit que les dérogations à la « règle du silence de l’administration vaut acceptation » nécessitent un décret en Conseil d’Etat délibéré en conseil des ministres. ↩
- L’article 42 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dispose que les traitements des magistrats sont fixés par décret en conseil des ministres. Il en est de même, selon l’article 13 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances pour les décrets d’avance pris en cas d’urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national. ↩
- Le troisième alinéa de l’article 13 de la Constitution prévoit ainsi que les nominations aux fonctions les plus importantes sont réalisées en Conseil des ministres : « Les conseillers d’Etat, le grand chancelier de la Légion d’honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets, les représentants de l’Etat dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales, sont nommés en Conseil des ministres. » ↩
- L’article 36 de la Constitution dispose que l’état de siège est décrété en conseil des ministres. ↩
- Cette procédure existe depuis le décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres. Ce décret, signé par le Premier ministre Michel Debré marque la pratique présidentielle du régime. Depuis, il n’est plus possible pour le Premier ministre de répartir seul les portefeuilles ministériels. ↩
- C’est le principe du parallélisme des formes. ↩
- Il s’agit d’un moyen d’ordre public. Pour une illustration récente : CE, 17 juillet 2013, Syndicat national des professionnels de santé au travail et autres ↩
- Pris sur des matières désormais en dehors du champ de la loi au regard de l’article 34 de la Constitution. ↩
